Le Grand Banksytisme

Ces dernières semaines ont de nouveau mis Banksy sur le devant de la scène. Mais c’est encore une fois contre la volonté de l’artiste que son pseudonyme peuple les gros titres des journaux français. Le vandale le plus célèbre de notre époque est victime de vols à répétition à Paris, mais aussi à Douvres. Ce n’est pas nouveau, effectivement. Mais cela devient une habitude face à laquelle l’icône du street art va devoir réagir, s’il ne souhaite pas devenir le rouage d’une machine à tuer son art.

J’aurai besoin de quelqu’un qui me protège contre les mesures qu’ils prennent pour me protéger.

Banksy

L’hécatombe Banksy

Dans la nuit du dimanche 1er septembre, une femme est réveillée par un bruit incessant. Nous sommes à Paris, non loin du centre Beaubourg. Il est 3 heures du matin. Un homme, vêtu d’un gilet de travaux, installé sur une nacelle à trois mètres du sol, est en train de découper une oeuvre de Banksy représentant un rat avec un cutter à la main, réalisé par l’artiste en 2018. La riveraine sort son téléphone et filme la scène surréaliste, se demandant s’il est en train de le découper ou de le recouvrir.

Fin août à Douvres, un échafaudage est installé sur une fresque anti-Brexit de Banksy, représentant le drapeau européen avec un ouvrier en train d’en enlever une étoile et réalisé en 2017. Elle se trouvait sur un bâtiment qui devait être détruit, mais qui, en raison de sa soudaine “montée en valeur artistique” a survécu plus de temps que prévu. L’oeuvre disparaîtra avec l’échafaudage, laissant un mur aveugle portant la trace du crime et des voisins désappointés.

Ces deux exemples récents ne font qu’allonger la liste de ces actes de vol devenus le nouveau fléau qui frappe le street art actuellement. Banksy n’en est pas l’unique victime, il suffit, pour entrer dans le club, d’être un street artiste bankable. Invaders ou Monsieur Chat en font aussi les frais. Il est devenu rentable, et très peu risqué, de voler du street art ! Un peu partout dans le monde des oeuvres disparaissent pour ne laisser que des trous béants, des murs vides… Et cela n’est pas simplement un vol, c’est tout simplement un non sens.

Street art de salon

Lorsqu’on prétends aimer les oiseaux en les mettant en cages, cela n’a aucun sens. Aimer les oiseaux, c’est aller les observer dans leur milieu naturel et laisser les autres pouvoir en faire autant. Posséder n’est pas aimer, ni même respecter ou préserver, comme certains aimeraient à le faire croire. C’est exactement la même chose pour le street art. Il s’agit d’un art éphémère par nature et contextuel. Son accès doit être libre et gratuit. Le découper d’un mur lui retire son essence même.

Parfois même, ces découpages d’oeuvres de street art partent d’une (naïve) bonne intention. Il suffit de regarder le très bon documentaire Saving Banksy, uniquement disponible en anglais, pour le comprendre. On y découvre un collectionneur d’art, fan de Banksy, qui décide de découper un de ses pochoirs, réalisé à San Francisco en 2011, pour le “préserver” de la destruction et des spéculateurs de l’art. Il veut le donner au musée d’art contemporain de la ville. Mais son représentant, John Zarobell, refuse. Alors même que des collectionneurs privés proposent d’acheter l’oeuvre plus de 500.000$.

Ce que John Zarobell semble être le seul à avoir compris, c’est qu’on ne peut pas découper une oeuvre de street art. Même pour la “préserver.” Son rôle est de disparaître, comme pour le Land Art, mais version urbaine. Il existe assez d’oeuvres Inside de Bansy pour en préserver le travail. Alors même que le monde de l’art s’affole au moindre pochoir de l’artiste, ce dernier semble être le seul à ne pas se soucier de cette valeur indécente qu’ils prennent une fois laissés dans la rue. Et si cela pouvait avoir un air de rebelle iconoclaste jusque là, le vent semble être en train de tourner. Banksy va inévitablement devoir se positionner…

Certains artistes font des oeuvres pour qu’elles soient détruites, ils ne veulent pas que leur art perdure. Si tel est le cas, ce n’est pas le rôle du musée de le préserver contre la volonté de l’artiste.

John Zarobell, MoMa San Francisco

Banksy VS Banksy®

Cette réalité nous ramène au questionnement soulevé dans mon livre Banksy, Dr vandale et Mr art, paru aux éditions de l’Harmattan au début de cette année. Comment Banksy peut-il se sortir de cette impasse ? Comment peut-il protéger ses oeuvres urbaines des hyènes qui n’y voient qu’une valeur marchande ? Car c’est bien là le problème central auquel doit faire face le street art actuellement : sa (trop grande) valeur !

Une catastrophe inévitable a frappé – et beaucoup de nos artistes ont connu le succès. Le street art a été accueilli dans la culture traditionnelle avec un haussement d’épaules favorable et l’art que nous avons produit est devenu un autre produit commercialisable. Malgré les tentatives de fixation des prix, certaines impressions de POW valent malheureusement des dizaines de milliers de livres sterling.

POW

Et c’est à ce moment que va se poser la question de la position de Banksy. S’il ne réagit pas face à cette réalité, il va devoir rendre des comptes sur son rôle dans ce qui est en train de devenir la destruction programmée et systématique du street art. Car même s’il est la victime dans ces affaires, il en est aussi le point de départ ! D’un simple clic sur son compte Instagram, Banksy passe d’artiste de street art qui revendique ses oeuvres à une véritable usine à faire des millions. Il transforme un acte artistique en une hystérie spéculative qui ne connaît plus aucune règle.

Ce qui faisait de Banksy un artiste révolutionnaire est en train de se transformer en une somme d’indices pour valider la liste de courses des collectionneurs sans scrupule. Son anonymat, son choix de ne pas signer ses travaux, ses messages engagés et la justesse de ses lieux de production sont autant de choix stratégiques qui signent la disparition programmée de ses oeuvres. Banksy va devoir entrer en lutte contre Banksy® et sa première mission risque d’être de trouver un moyen de ne plus le nourrir !