Le non-événement Banksy du musée du graffiti

En cette fin de mois de mai, devait avoir lieu à Paris une exposition de travaux de Banksy, organisée par le petit et énigmatique musée du Graffiti. Un événement à la campagne de communication tout aussi insistante qu’obscure, mais qui ne figure pas dans la liste des fausses expositions de Banksy sur son site Internet officiel. 200 000 personnes intéressées sur la page Facebook de l’événement, se présentant sans ambiguïté comme une “Exposition Banksy,” tout cela pour qu’au final rien ne se passe. Le jour de l’exposition, le musée du Graffiti n’existe plus et n’est plus qu’un local vide à louer. Décryptage d’un non-événement retentissant…

Visuel de l'exposition Banksy

L’histoire commence en mai 2018, lorsque Grégory Jubé ouvre le petit musée du Graffiti à Paris, dans le discret passage Ponceau du 2ème arrondissement. Mais qui est cet homme et quel est le but de ce musée ?

Le musée du Graffiti, réel ou fictif ?

Grégory Jubé, alias Arek de son nom d’artiste, 37 ans, aurait eu une activité de taggueur durant son adolescence. Il raconte recevoir un appareil photo à l’âge de onze ans et se mettre, quelques années plus tard, à photographier les tags tel un archiviste. Il les classe par périodes, lieux, artistes et se forge rapidement une belle collection. Une activité qui n’est pas sans rappeler un certain Thierry Guetta et ses prises de vues compulsives de l’activité des street artists qui va donner matière à la réalisation du documentaire de Banksy, Faites le mur ! Grégory Jubé fera des études de médecine pour ensuite s’orienter vers l’art et la communication visuelle. Il se tourne rapidement vers une pratique très conceptuelle.

Le musée du Graffiti est un lieu sur trois niveaux, au parcours précis, dont le site Internet – du nom de son créateur www.arek.fr – permet une visite virtuelle. Le but affiché est d’offrir un espace dédié à cette culture urbaine. “Depuis quelque temps, le marché de l’art s’intéresse à cette culture marginale liée au vandalisme. On est ainsi passé d’un mouvement de révolte et de lanceurs d’alerte à quelque chose de très mercantile. Je trouvais qu’il manquait un lieu culturel qui puisse être un pont entre les deux.” Y sont présentés de nombreux travaux d’acteurs connus ou anonymes de ce mouvement, prélevés directement dans la rue par Grégory Jubé. Ce dernier raconte avoir dû se séparer d’une oeuvre de Keith Harring qu’il avait en sa possession pour couvrir les frais d’ouverture du musée.

Le musée du Graffiti n’est pas. N’a jamais été. C’est ce postulat qui a enclenché la démarche 

Grégory Jubé, Propos d’escalier, 2019

Avant l’ouverture du lieu, Grégory Jubé se lance dans une campagne de communication autour de ses objets récupérés dans la rue. Il va ainsi créer une fresque, intitulée Arekollection (1998 – 2007), présentant un assemblage d’autocollants de multiples artistes graffeurs. Il va ensuite la mettre en vente sur un site d’enchères pour un montant de départ d’un euro. En quelques jours, la pièce se retrouve à 15000€. Il décide alors de la retirer de la vente, prétendant que cela n’était qu’un coup marketing pour faire connaître sa collection. Une bien étrange manière de procéder !

Arekollection (1998 - 2007),  150 x 100 cm

Mise en scène douteuse ou geste artistique, il n’en reste pas moins que cela va lui permettre d’accéder à une visibilité lui offrant la possibilité d’exposer sa collection dans des structures prestigieuses comme le Palazzo Pepoli de Bologne. Il se retrouve aux côtés d’autres collectionneurs, amateurs de récupération d’oeuvres urbaines. 

Le sujet de la préservation des oeuvres de graffiti ou de street art est un point essentiel de l’univers de l’art urbain. Doit-on laisser ces travaux suivre leurs processus de disparition ? Doit-on les préserver pour la postérité, les générations à venir, la cupidité de certains ? Un très bon documentaire sur le sujet, intitulé Saving Banksy(disponible uniquement en anglais), résume l’action d’un collectionneur passionné de Banksy essayant de “sauver” un pochoir de l’artiste. Il souhaite en faire don gratuitement à un musée. Mission impossible ! Personne ne veut de cette oeuvre, si ce ne sont de riches collectionneurs qui lui proposent des centaines de milliers de dollars pour l’acquérir. Certainement l’un des meilleurs documentaires réalisés sur les dégâts collatéraux engendrés par les interventions de Banksy.

Ceci n’est pas une exposition Banksy

Dans cette histoire Banksy est resté muet, comme à son habitude, mais un peu plus encore. Interrogé par mail, fin janvier 2019, pour savoir si cette exposition était ou non en rapport à lui, il a juste répondu qu’il n’avait rien à voir avec, sans plus de précisions comme à son habitude. 

This is not an official Banksy exhibition.

faq, www.banksy.co.uk, 24/01/2019

Ce qui était nouveau avec cette non-Exposition Banksy du musée du Graffiti est qu’elle était présentée comme gratuite depuis le début. Le musée lui-même était un lieu auquel on pouvait accéder sans droit d’entrée. Hors, ce que Banksy dénonce sur son site Internet officiel, ce sont les événements payants réalisés autour de son travail. Du coup pas de raison pour l’artiste d’intervenir ou de dénoncer quoi que ce soit, surtout vu le flou tout artistique qui règne autour de tout cela depuis le début. 

Ce qui est moins nouveau c’est toute la mystification mise en place autour de Banksy dans la communication autour de cet événement. En effet, non content de monter une exposition fantôme, le lieu  brode toute une histoire autour de Banksy et du musée. Banksy y serait passé incognito durant l’été 2018. “L’été dernier, des Anglais sont venus au musée. Je leur ai expliqué le concept mais je les ai laissés visiter tout seuls. Lorsqu’ils sont repartis, j’ai découvert une signature sur notre “wall of fame”, le mur où les visiteurs sont invités à laisser un mot : Banksy. Je me suis dit que c’était une blague.” Il aurait ensuite reçu quelques jours plus tard un colis contenant une oeuvre signée Banksy et de l’argent en soutien à son lieu.

Oeuvre de Banksy prétendument reçue par le musée du Graffiti

Une histoire qui avait déjà du mal à passer à son apparition et qui semble réellement difficile à croire aujourd’hui, au regard du fiasco de ce non-événement qui déclenche la colère et une avalanche d’insultes de la part du public. Grégory Jubé semble avoir voulu surfer sur la vague Banksy, comme d’autres avant lui, en créant un buzz que l’on pourrait inscrire dans la lignée de l’artiste agitateur AK-47 et de son action de 2005, intitulée The Banksy Job. Elle consistait à enlever en plein jour une oeuvre monumentale que Banksy avait déposé de façon tout à fait illégale dans les rues de Londres pour lui réclamer une rançon. Dans le cas du musée du Graffiti, il manque juste l’humour et le contenu…

Un soupçon de Robbo

Autre preuve de mauvais goût et d’une communication qui dérape, l’utilisation du graffeur Robbo durant le décompte de la dernière semaine précédent l’exposition. Les publications journalières sur la page Facebook de l’événement changent de forme et de ton. Exit les photos photoshopées de pochoirs annonçant l’exposition, montrés sur de multiples monuments parisiens, et bienvenue à King Robbo. 

Pour rappel, Robbo était un graffeur connu et toujours resté anonyme de la scène du graffiti londonienne et mondiale. Il a commencé à commettre ses travaux dans les années 80 et est décédé en 2014. Banksy et Robbo sont connus pour leur rivalité urbaine à partir de 2009, suite à un pochoir de Banksy recouvrant le dernier graff encore visible de Robbo, qui avait raccroché les bombes depuis des années à cette époque. Ce graffiti, intitulé Robbo Incorporated (voir photo), datait de 1985. Robbo avait alors seulement 15 ans et il l’avait fait au bord du canal, juste sous les bureaux du quartier général de la police des transports de Londres, en guerre ouverte contre les graffeurs. Un lieu accessible uniquement avec une embarcation qui valut à ce graffiti de résister aussi longtemps. Tout un symbole !

En 2009, Banksy recouvre le dernier graffiti encore visible du graffeur Robbo

L’origine du conflit entre Robbo et Banksy serait un différent entre les deux hommes datant de plusieurs années auparavant. S’en suivie une “guerre” entre deux équipes, la team Robbo et la team Banksy, chacune d’entre elle s’appliquant à dégrader les travaux de l’autre et qui pourrait se résumer à “graffiti contre street art”. Quoi qu’il en soit il était malvenu de déterrer cette histoire qui avait trouvée un terme tragique avec la mort de Robbo. Banksy lui avait d’ailleurs rendu hommage en refaisant son graffiti à l’endroit où il se trouvait. De cette guerre reste un arrière goût d’une période où l’art urbain était scindé en deux. Une vieille rancoeur qui se réveille à la moindre étincelle et sur laquelle Grégory Jubé a tenté de jeter de l’essence. Mais pour quelle raison ?

De façon tout à fait mathématique, il suffit d’additionner les différents choix de communication de Grégory Jubé pour obtenir un résultat qui se résume à cette phrase d’un internaute sur la page de l’exposition Banksy : “C’est une honte de faire déplacer les gens pour de la merde. Bande d’escrocs !” Peut-être a-t-il obtenu ce qu’il voulait ? Faire parler de lui. Etre associé au nom de Banksy. Devenir le plus grand troll de la scène urbaine actuelle. Se faire un tas d’ennemis enragés. Faire un happening en profitant du nom de Banksy. Ou tout simplement se venger de la visibilité exubérante de ce dernier quand son petit musée n’arrivait pas à survivre… 

Une chose est certaine et résume bien cette histoire. Banksy est sarcastique, il ne respecte pas la loi, il est scandaleux, iconoclaste… mais jamais il ne s’en prend au public. Il est du côté du peuple. Ses seules cibles sont les riches, les institutions et les gouvernements ! C’est réellement sur ce point que le musée du Graffiti a fait la plus grosse erreur.


Sources